Lewis Trondheim fait des histoires
Du 13 octobre 2022 au 28 janvier 2023
Pratique
- Entrée libre et gratuite du mardi au samedi de 10h à 19h
- Visite guidée de l’exposition : les mercredis à 16h et les samedis à 11h et 16h (pas de visite le samedi 15 octobre à 16h)
- Visite contée : il était une fois…
Les mercredis 2 novembre, 7 décembre et 4 janvier à 11h (de 3 à 6 ans)
- Livret découverte et audioguides disponibles à l’accueil
- Visite LSF : samedi 3 décembre à 16h
Sur inscription evaneeckhaute@herault.fr
- Visites et ateliers pour les groupes scolaires
Sur inscription serviceprogrammation@herault.fr
Lewis Trondheim est né en 1964. Fils d’un couple de libraires, il est l’auteur d’une des œuvres les plus vastes et protéiformes de la bande dessinée moderne, avec quelque 200 albums à son actif comme scénariste ou auteur complet. Créateur de Lapinot, Ralph Azham, Le Roi Catastrophe, Maggy Garrisson et bien d’autres personnages, Trondheim travaille aussi bien pour un public adulte que pour les enfants. Cofondateur, en 1990, de la maison d’édition L’Association, où il est toujours membre du comité de lecture, il dirige également la collection « Shampooing » chez Delcourt, tout en travaillant pour Dargaud, Dupuis, Glénat et rue de Sèvres.
Science-fiction, western, polar, autobiographie, comédie sentimentale, cape et épée, BD expérimentale, BD jeunesse, heroic fantasy, reprise de personnages connus (Mickey, Spirou, Astérix) : il n’y a pas de genre auquel Trondheim ne se soit essayé, jusques et y compris la bande dessinée pour Smartphone (Bludzee) ou sur Instagram (Les Herbes folles). Il s'est également inventé un hétéronyme à succès en publiant, en 2005, Le Blog de Frantico.
Son propre univers graphique est presque toujours constitué de personnages zoomorphes, ou en forme de patates, mais il écrit aussi pour des dessinateurs réalistes comme Matthieu Bonhomme, Stéphane Oiry, Hubert Chevillard ou Frank Biancarelli.
Il a reçu le Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 2006 et est le créateur du « Fauve » devenu la mascotte du Festival.
Alors qu’il s’est, dans le passé, presque toujours opposé à ce que son travail soit exposé, Trondheim a activement participé à la conception de la présente rétrospective. Qu’il en soit ici très sincèrement remercié.
1. C’est l’histoire d’un type qui ne savait pas dessiner….
En 1988, deux ans après son service militaire, Lewis Trondheim commence à publier un fanzine de bande dessinée, Approximate Continuum Comics Institute H3319, qu’il réalise seul. Il ne sait pas vraiment dessiner et n’a reçu aucune formation dans ce domaine. C’est pourquoi il privilégie le dialogue, ajoutant des répliques à des strips ou planches dans lesquels le même personnage en gros plan se répète de case en case. Ce système (qui, avec l’Oubapo, recevra plus tard le nom d’« itération iconique ») inspire ses albums Le Dormeur, Monolinguistes et Psychanalyse.
Conscient de ses limites, Trondheim se lance dans la réalisation d’un album de 500 pages, au scénario improvisé, destiné à lui permettre d’apprendre à dessiner. Ce sera Lapinot et les carottes de Patagonie (publié en 1992).
La Mouche est un projet développé pour le Japon puis redessiné pour la France. En braquant sa « caméra » sur un insecte volant, le dessinateur multiplie les plongées et contre-plongées, apprenant à maîtriser les codes du mouvement et de la perspective.
2. C’est l’histoire d’un type qui se représente en oiseau…
Comme la plupart des autres cofondateurs de L’Association (Menu, David B, Mattt Konture et Killoffer), Trondheim va développer une veine autobiographique à une époque où le récit de soi n’a pas encore vraiment droit de cité dans la BD française. Comme il dessine dans un style animalier, il doit choisir en quelle espèce s’incarnera son double de papier et opte pour une perruche. Pourvu d’un bec et d’une crête, il n’en est pas moins étonnamment ressemblant.
Drôle, sans complaisance, couvrant un large spectre de situations et d’affects, son grand album autobiographique, Approximativement (1995), contribue fortement à asseoir sa notoriété.
Par la suite, Trondheim continuera à se raconter à travers la série des Carnets puis celle des Petits Riens, prépubliés en ligne sous forme de blog.
La série pour enfants Monstrueux relève, elle, de l’autofiction, tout comme L’Atelier Mastodonte, création collective amenant les dessinateurs à se représenter les uns les autres.
3. C’est l’histoire d’un type qui se lance des défis…
Lewis Trondheim est un homme qui aime relever les défis. Par exemple : aborder des genres avec lesquels il a peu d’affinités a priori, comme le polar ; se fixer pour
objectif de dessiner une histoire de 500 pages ; réaliser un récit complet de 24 pages en 24 heures (principe des 24 heures de la BD organisées pendant dix ans à Angoulême, à son initiative) ; ou bien encore se rendre méconnaissable pour signer, sous une identité d’emprunt, une autofiction crue et décapante, Le Blog de Frantico.
Il est l’un des membres fondateurs de l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle) qui, sur le modèle de l’Oulipo littéraire, place l’application de contraintes formelles au principe de la création. C’est ainsi que dans Mister I, Mister O ou sa contribution au Comix 2000, Trondheim divise ses pages en cases minuscules. En outre, les pages en question sont muettes et relèvent de la pure pantomime, tout comme celles de Petit Père Noël (avec Thierry Robin) ou de La Mouche. Il imagine pour Sergio Garcia deux albums (Les Trois Chemins et Les Trois Chemins sous la mer) dans lesquels trois récits progressent en parallèle tout en connaissant des interférences. Il signe enfin deux albums de bande dessinée abstraite, Bleu (2003) et La Nouvelle Pornographie (2006).
4. C’est l’histoire d’un type qui crée un héros, le tue et le ressuscite…
Le personnage de Lapinot apparaît, sans préméditation, à la 7e case de l’album dont il deviendra le héros, Lapinot et les carottes de Patagonie (1992), un récit initiatique qui mêle polar et fantasy. Il réapparaît un an plus tard dans Slaloms, qui relate ses vacances à la neige avec sa bande de copains, puis dans Mildiou, parodie de récit de cape et d’épée où la scène du duel final entre le « bon » et le « méchant » est étendue aux dimensions de l’album entier. On le retrouve aussi dans « Promenade », contribution de Trondheim à un volume collectif sur l’écologie.
À ce stade, Lapinot, qui incarne le candide animé d’une volonté de bien faire, s’est déjà promené dans plusieurs univers et chez différents éditeurs : L’Association, Le Seuil, Autrement. En 1995 débute chez Dargaud la série des Formidables Aventures de Lapinot, sous la forme d’albums cartonnés en couleur. Aux côtés de comédies de mœurs contemporaines, avec toujours un élément de fantastique, ce cycle comprend un western, une romance victorienne, une enquête parisienne au début du XXe siècle et une parodie de Spirou et Fantasio.
Dans La Vie comme elle vient (2004), Trondheim tue son personnage dans un accident de voiture. Il le ressuscite une douzaine d’années plus tard pour entamer les Nouvelles Aventures de Lapinot, à L’Association.
5. C’est l’histoire d’un type qui aime les épopées fantastiques…
Désireux depuis longtemps de se lancer dans une saga épique qui ait du souffle, Trondheim crée Ralph Azham dans l’hebdomadaire Spirou en novembre 2010. Au rythme d’un ou deux épisodes par an, cette série qu’il écrit et dessine seul, et qui est mise en couleurs par son épouse Brigitte Findakly, se clôt en 2019. Elle totalise douze albums, relève de l’heroic fantasy et conte la geste d’un jeune homme qui, depuis son statut initial de quasi paria, va gravir une à une les marches du pouvoir plus ou moins contre son gré.
Canard anthropomorphe, Ralph Azham apparaît très souvent torse nu et se reconnaît aisément à ses longs cheveux bleus qui lui confèrent un air androgyne.
Pour cette série, Trondheim invente une géographie (une planète, Tanghor, un royaume, Astolia, et moult bourgades, îles et chaînes montagneuses), un bestiaire (les esquireuils, fouisseurs, chavrouques et autres fylfes), des ordres religieux et une série de seize artefacts (quatre armes, quatre bijoux, quatre reliques et quatre objets magiques).
6. C’est l’histoire d’un type qui se fait du souci…
Comme souvent les humoristes, Lewis Trondheim est angoissé de nature. Plusieurs motifs d’inquiétude trouvent à s’exprimer dans son œuvre. Dans les récits autobiographiques, on découvre un homme hypocondriaque, inquiet à l’idée d’être contaminé par des bactéries ou piqué par des insectes. En 2005, son album Désœuvré, sous-titré « essai », est une méditation assez sombre sur le vieillissement des auteurs de bande dessinée qui, pour beaucoup, avec le temps, sombreraient dans la dépression ou l’alcoolisme, certains se réfugiant dans le silence ou versant dans la médiocrité.
Invité par l’hebdomadaire Les Inrocks à livrer des pages inspirées de l’actualité, Trondheim y exprime ses inquiétudes de citoyen. Son anxiété se traduit également dans des fables métaphysiques questionnant la mort et trouve une expression métaphorique dans les délires science-fictionnesques autour du thème de la fin du monde.
7. C’est l’histoire d’un type qui raconte des histoires aux enfants…
Lewis Trondheim a créé plusieurs séries destinées au jeune public. Dans les quatre tomes de Monstrueux (1999-2001), il se met en scène, avec son épouse et ses enfants Pierre et Jeanne, dans d’improbables aventures qui les amènent à combattre toutes sortes de monstres. C’est aux mêmes Pierre et Jeanne que s’adresse le papa dans Allez raconte (2 vol., 2001-2003) dessiné par José Parrondo. L’histoire qu’il leur raconte, en tenant compte de leurs suggestions et interruptions, est interminable et constitue une récapitulation générale de l’imaginaire enfantin. Petit Père Noël (5 vol. 2000-2004), avec la complicité de Thierry Robin, revisite le mythe de Santa Claus en le confrontant à des figures inédites telles que Yéyé le yéti, le professeur Maturzerod et le Docteur Méchant.
Dessiné par Fabrice Parme, Le Roi Catastrophe (9 vol., 2001-2005) se nomme Adalbert. Enfant égocentrique et capricieux mais sans méchanceté, il règne en tyran sur le minuscule Etat de Porto-Cristo. Zizi chauve-souris, avec Guillaume Bianco, est une petite fille très imaginative vivant avec sa mère dans une campagne où le quotidien se teinte de fantastique.
8. C’est l’histoire d’un type qui a collaboré avec plein de monde…
Aucun scénariste français, sans doute, n’a travaillé avec autant de collaborateurs différents que Lewis Trondheim : citons Jean-Pierre Duffour, Frank Le Gall, Thierry Robin, Manu Larcenet, Sergio Garcia, Jochen Gerner, Dominique Hérody, José Parrondo, Ville Ranta, Fabrice Parme, Yoann, Matthieu Bonhomme, Stéphane Oiry, Guillaume Bianco, Kéramidas, Hubert Chevillard, Stan et Vince, Alexis Nesme, Obion, Franck Biancarelli et Alfred…
La série Donjon, qu’il co-écrit avec son ami Joann Sfar, s’assure la collaboration graphique de Larcenet, Blain et d’une foule de dessinateurs invités, de Kerascoët à Bézian en passant par Blutch, Killoffer ou Blanquet. De même, les huit albums d’Infinity 8 bénéficient de la participation de coscénaristes (notamment Zep, Emmanuel Guibert et Olivier Vatine) et lui fournissent l’occasion de travailler avec de nouveaux dessinateurs comme Dominique Bertail ou Olivier Balez.
Il arrive, beaucoup plus rarement, que Trondheim illustre un scénario dont il n’est pas l’auteur : Jean-Luc Coudray lui a écrit Nous sommes tous morts, Frank Le Gall Vacances de printemps et Appollo Île Bourbon 1730. Avec sa femme Brigitte Findakly, Trondheim cosigne en 2016 Coquelicots d’Irak.
9. C’est l’histoire d’un type qui a des inédits dans ses tiroirs…
On pourra ici feuilleter sur écrans les pages de quatre récits inédits restés inachevés.
Willard Watte (1994) est la première version d’un projet dont il existe cinq moutures successives, la dernière comptant plus de 200 pages et ayant été publiée sous le titre Capharnaüm en 2015. L’ambition initiale était de dessiner une épopée de 5 000 pages qui aurait fait intervenir des extra-terrestres.
Ouo (2004-2005) est une préfiguration de Bludzee, avec un petit chat noir évoluant dans un univers décalé très graphique.
Arte radio (2013) compte une vingtaine de pages dessinées sans but précis, pour relater une expérience de collaboration qui avait tourné court. Trondheim avait écrit un feuilleton radiophonique pornographique, enregistré par les comédiens (avec Eric Elmosnino en tête de distribution) mais jamais diffusé à l’antenne.
Le quatrième récit, sans titre, a été publié en 2013-2014 sur le site de l’émission d’Arte « Personne ne bouge ». Chaque épisode du feuilleton était en rapport avec le thème de l’émission.
10. C’est l’histoire d’un type qui a fini par savoir un peu dessiner…
S’il est resté fidèle à son style linéaire et dépouillé, Lewis Trondheim, après avoir dessiné des milliers de pages, a gagné confiance en lui et s’autorise aujourd’hui des décors élaborés, des scènes d’action complexes. Il n’a jamais cessé de vouloir progresser. Quand il entreprend Les Petits Riens en 2006, c’est dans le but d’apprendre à maîtriser l’aquarelle, lui qui, jusque-là, avait toujours délégué la mise en couleur de ses histoires. A peu près à la même époque, il commence à pratiquer le dessin d’observation, s’astreignant à faire un dessin d’après nature au minimum le 15 de chaque mois, le plus souvent dans des carnets. Cette discipline a pour but, dit-il, « d’enrichir son vocabulaire graphique, sa bibliothèque d’images intérieures ». On découvre dans ces dessins très descriptifs une attention méticuleuse aux détails, une déférence face à la profusion du réel.
Légendes
2 . Trondheim chevauchant un dinosaure. Extrait de La Malédiction du parapluie (Les Petits Riens, tome 1 © éditions Delcourt
4 . Couverture dépliée de La Fin du monde, 2008 - © L’Association
5 . Case tirée de la série Ralph Azham, planche 385- © éditions Dupuis
7 . Détail de la couverture de l’album Monstrueux Bazar, 1999 © éditions Delcourt
9 . Page 1 de la première version de Capharnaum, inédite (1994)
10 . Illustration de couverture de l’album Les Herbes folles, 2019 - © L’Association